mercredi 13 juin 2007
Secrets, fuites et manipulations
Par Philippe Madelin, écrivain d'investigation
Comment, par exemple, les pièces judiciaires qui ont alimenté la presse dans l'Affaire Clearstream se sont-elles retrouvées à ciel ouvert, alors qu'elles étaient normalement couvertes par les secret de l'enquête et de l'instruction ? Le premier interrogatoire du général Rondot a été publié alors qu'aucun avocat ne disposait d'une copie intégrale de cet interrogatoire. Si les interrogatoires sont signés par l'avocat, ni ce dernier ni le prévenu n'en reçoivent une copie immédiate : ils sont cotés, paraphés et versés dans le dossier, il faut ensuite en demander copie et attendre environ 1 mois. Les « fuites » d'informations et de dossiers qualifiés de « secrets » sont un perpétuel sujet d'étonnement pour le grand public. Le phénomène a beau ne pas être nouveau, il surprend encore.
Cette question du secret est en principe régie par des textes législatifs remontant à la veille de la deuxième guerre mondiale. Il s'agissait à l'époque de protéger les secrets de la Défense nationale contre les investigations des services secrets nazis. Le décret-loi Daladier du 17 juin 1938 définit l'espionnage comme un crime de trahison, puni par la peine de mort. Il est suivi par le décret-loi du 10 février 1939, qui codifie le Secret défense. Seuls les agents habilités peuvent être détenteurs de secrets soit tous les officiers de la DGSE, de la DPSD, de la DST et, depuis 2005, les policiers des Renseignements généraux, ainsi que les magistrats et les policiers qui contribuent aux enquêtes judiciaires, où le secret est défini par les Code pénal et Code de procédure pénale
Depuis, la situation s'est figée, et les fonctionnaires en sont généralement restés là, convaincus que cette barrière juridique était assez haute pour endiguer les curiosités malsaines. Dans la pratique, la loi n'empêche rien, ces secrets ne cessant d'être brisés. Les modalités de la circulation de l'information (notamment avec internet) s'opposent aujourd'hui de façon absolue au maintien du secret. L'avocat Bernard Warusfel soutient même qu'il n'y a pas de secret que l'histoire ne contribue pas à révéler : ce fut d'abord une question d'année, puis de mois, de semaines. Et, aujourd'hui, de jours. Dans les Services dits secrets, on admet que 95 % des secrets ne le sont plus : il suffit de savoir chercher.
Chercher où ? Eh bien, partout. Désormais, tout journaliste, tout enquêteur un peu malin sait comment piller les banques de données, contourner les barrières, ils obtiennent des détails de plus en plus précis permettant de reconstituer des puzzles complexes. Les « sources humaines » accroissent les potentiels : dans les grandes affaires, les intervenants sont multiples, pas toujours avertis des risques consécutifs aux divulgations. La volonté de ne pas conserver par devers soi des secrets trop lourds et des règlements de comptes entre services concurrents grossissent le fleuve. Plus grave, des fonctionnaires ou des magistrats en place sont conduits à employer les fuites comme moyens de manipulations : lors de mon enquête sur l'affaire des HLM de la Ville de Paris, un policier m'a expliqué que les fuites étaient utilisées pour pousser les témoins à parler.
Les motivations des témoins sont, elles, multiples. Et pas toujours très claires. Ainsi, la concurrence entre syndicats de policiers peut conduire sur la place publique les secrets les mieux gardés. On doit se souvenir que dans une institution comme la Police nationale, toutes les nuances politiques sont présentes, de l'extrême droite à l'extrême gauche, les syndicats proches du centre gauche étant omniprésents. Les élections syndicales pour désigner les représentants policiers dans les Commissions paritaires, à l'automne, donnent lieu à des surenchères et à des « fuites ».
Le déferlement de l'information par les canaux du réseau Internet amplifie d'autant plus le phénomène que les sources sont difficilement identifiables, parfois originaires de l'étranger. Du moins officiellement. Le rapport de l'INHES sur l'affaire des banlieues diffusé en avril dernier est à cet égard caractéristique : confidentiel à l'origine, il a été transmis à l'AFP par une « main experte ». J'ai pu retracer une partie du parcours qui a suivi : transmission au service d'information de la Préfecture du 9.3, qui a demandé leur avis aux intéressés. Lesquels ont été interrogés par le journaliste de l'AFP. Rien que de très normal, sauf que personne ne s'était intéressé au rapport, il a fallu plus d'un mois pour qu'il s'étale finalement sur la place publique. Au moment de la campagne pour les Présidentielles …
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