vendredi 29 juin 2007

L'" Embedded ", le reporter embarqué

Par Philippe Madelin, écrivain d'investigation

Comment passe-t-on du statut de journaliste ordinaire à celui d'’« embedded », ce mot américain devenu courant dans le métier que je traduis par « embarqué » ? Pourquoi s'offusque-t-on soudain d'une pratique ancienne, pour ne pas dire généralisée ? Parce que l'armée américaine aurait systématisé ce statut à partir de la guerre du Golfe en 1991 ?
Comme tous les journalistes actifs, j'ai été « embedded » à de nombreuses reprises dans ma carrière. En 1991, notamment. Non aux côtés des Américains, mais à l'initiative d'un ministre français. Reporter à TF1, je ne suis pas appelé à suivre les opérations sur le terrain. On estime que ma santé et mon âge ne le permettent pas. Je m'investis donc dans les affaires de prisonniers et d'otages. J’ai alors l’occasion d’interviewer Bernard Kouchner, alors secrétaire d'État chargé de l'Action humanitaire dans le gouvernement Rocard. Il me propose de couvrir une mission extraordinaire. « Mon cabinet va vous arranger les rendez-vous », me propose-t-il. Il nous arrange un embarquement dans un des avions-cargos affrétés pour les besoins du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Avec un cameraman et un sondier, nous nous envolons pour Le Caire, Doha (Qatar), Karachi (Pakistan), où sous l'œil attentif du Consul de France nous filmons le chargement de tentes pour plusieurs milliers de réfugiés.C'est très exactement une mission « embedded ». TF1 ne finance rien, ne choisit ni les modalités de voyage, ni l'objectif. Il s'agit simplement de promouvoir l'image de la France comme bienfaitrice de l'humanité.
Capa déjà " embedded "
Ce type de « missions journalistiques » est né avec les guerres modernes où la propagande est devenue une arme. La France s'y est mise dès la Première guerre mondiale. Les « correspondants de guerre » sont gérés par les états-majors, ils portent des uniformes militaires, on leur attribue des grades, commandant ou colonel. Ils sont conduits sur les théâtres d'opération pour pouvoir « rendre compte objectivement » des événements, c'est-à-dire dans le sens voulu par les généraux. On fournit aux journalistes plus ou moins intégrés dans les unités de combat matériel et protection, ce qui n'exclut pas les risques. Le reporter de guerre devient un soldat comme les autres.Le système sera développé lors de tous les conflits suivants.
Lors du débarquement américain en Normandie, les armées US sont accompagnées par une nuée de reporters de choc. Le caporal Samuel Fuller, caméra au poing, débarque avec la troisième vague, parmi les premiers sur la plage d'Omaha-Beach. Fuller deviendra l'un des plus grands cinéastes de guerre et ses images tournées « live », et en couleurs, un matériau indispensable. Les images les plus spectaculaires sont « shootées » par le photographe hongrois Robert Capa, alias de Endre Ernô Friedmann. Lui aussi intégré dans les unités de combat, il espère ainsi conquérir sa nationalité américaine. Capa sera tué en 1954 au Viêt-Nam alors qu'il opère aux côtés des troupes françaises.
La pratique du "off"
Une question brûle les lèvres : pourquoi les journalistes habituellement si prompts à revendiquer leur liberté d'agir acceptent-ils de s'insérer dans ce carcan ? La réponse est simple : dans de nombreuses circonstances il est presque impossible d'aller au plus près de l'événement sans être « embedded », pour éviter les risques trop importants tout en ayant accès aux informations de première main. En langage administratif français le mot « embedded » se lit « journaliste accrédité ». Dans une rédaction, l'accrédité est l'interlocuteur privilégié d'une administration, d'une institution ou de toute autre organisation qui a besoin de transmettre la « bonne parole » par des canaux sûrs et contrôlés. Les accrédités sont les destinataires exclusifs des informations, à condition qu'ils respectent le contrat, par exemple la pratique du « off », ces confidences que l'on ne répète pas.
De façon ironique, la pratique de l'accréditation déborde de facto sur les partis politiques, et même sur les groupes militants clandestins. Ceux qu'on appelle les terroristes. Dans ces deux mondes, on déteste parler à des journalistes qui ne sont pas parfaitement au fait des choses. Les indépendants, les free-lance, les non « embedded » sont mal vus. Parce qu'on croit souvent, dans ces milieux, qu'un journaliste est forcément « embedded », il n'est considéré que comme une sorte de porte-parole.

mardi 26 juin 2007

Le danger d'une confusion des roles


Par Nina Perez, journaliste dans un quotidien national

« Vous savez, je connais bien vos patrons ! » , glisse de temps à autre Nicolas Sarkozy à des journalistes. La petite phrase est dite sur un ton jovial et amical. Mais elle fait mouche. Peut demeurer (c'est son but) dans la tête du rédacteur lorsqu’il rédige son papier. Et, ainsi distiller un certain malaise : mon emploi peut-il être menacé si je diffuse telle information ? Choisis tel angle ? Donne tel détail ? (Car, rappelons-le, le journaliste est aussi un humain, qui, en dépit de sa soif de vérité, a une famille, des traites et exerce dans l’un des secteurs les plus bouchés du marché) Plus que la pression directe, l’ennemi numéro un est alors l’autocensure.
Car Sarkozy dit vrai. Quel média français n’appartient pas à ses amis ? Lagardère (Paris Match, JDD, Elle, Télé 7 jours, Europe1, RFM…) présente « Nicolas » comme son « frère ». Martin Bouygues (TF1, LCI, Metro …) et Bernard Arnault (La Tribune, Radio Classique, et sans doute bientôt Les Echos...) étaient témoins de son mariage. Serge Dassault (Le Figaro) et Vincent Bolloré (Direct soir, Matin plus …) ont soutenu le candidat pendant sa campagne. Comme Alain Minc, le président du conseil de surveillance du groupe Le Monde (Télérama, Courrier international, Midi Libre...) qui conseille des patrons de médias comme Edouard de Rothschild (Libération).
De tout temps, médias et partis politiques français ont su faire bon ménage. La nouveauté tient dans le caractère ostentatoire de cette confusion des rôles. Les principaux patrons de presse étaient présents au Fouquet’s pour fêter la victoire de leur « ami » à la Présidentielle. La valse des nominations a commencé avec le parachutage de Laurent Solly, directeur adjoint de la campagne de Sarkozy, à la tête de TF1. Certes, Internet ne permet plus de dissimuler longtemps une information qui a circulé dans une rédaction. Comme on l’a vu avec l’abstention de Cécilia Sarkozy au premier tour de la Présidentielle. Si Lagardère a su bloquer l'information au niveau du Journal du dimanche, celle-ci a très vite atterri sur le site de Rue89.
Les patrons de presse sont conscients de cette nouvelle menace. Il n’est donc pas exclu qu’ils s’évertuent à davantage cadenasser l’information, en s’entourant de bons petits soldats, partageant les mêmes idées. Pour éviter que cette tendance se généralise, la vigilance s’impose tant pour les journalistes que pour les citoyens. L’objectif de ce blog est de rendre publics des pressions ou exemples flagrants d'autocensure, mais aussi à avoir l’œil sur la façon dont pourront se réorganiser les rédactions amies (et celles qui pourraient le devenir). Il en va de l’avenir de l’un des rares contre-pouvoirs possibles dans une République quasi monocolore.

Les journalistes du Monde veulent en finir avec Minc

Par un journaliste du Monde

Le seul point sur lequel la totalité de la rédaction est d'accord, c'est l'éviction d'Alain Minc. Oui, il y a une petite chance que nous arrivions à le déloger de la présidence du conseil de surveillance de notre journal, si l'Association Hubert-Beuve-Méry accepte de joindre leur "non" au nôtre. Mais Minc est passé maître dans l'art de manipuler les uns et les autres. Réponse, donc, au conseil de surveillance de jeudi 28 juin.
Que reprochons nous à Minc? D'avoir poussé Colombani à des folies de conquête, de ne pas lui avoir rappelé qu'un sou est un sou et que la rationalité économique est implacable. Mais il avait tout intérêt à avoir un Colombani périodiquement à la recherche d'un conseil, d'un coup de main, d'une augmentation de capital. L'entremetteur qu'il est fait son miel (et son beurre) de cette fragilité. D'autant plus qu'il se positionne à la charnière du Monde et du monde des affaires. Son discours peut se résumer ainsi: « Mon cher (Pinault, Bolloré, Zacharias, etc.), je ne peux pas intervenir dans le contenu des articles des journalistes du Monde qui vous agace tant. Comme vous, je respecte trop l'indépendance de la presse pour succomber à la tentation [Ndlr : Il se ferait envoyer au bain], mais je vais tâcher de leur toucher deux mots de votre position [ Ndlr : ce dont il se garde bien]. »
Ainsi adossé à la réputation du Monde, il insinue qu'il possède un pouvoir qu'il n'a pas mais qui lui permet d'être grassement rémunéré par ces petits garçons de PDG en mal d'influence sur une presse qu'ils ne comprennent pas.
Personnellement, je n'ai pas pardonné à Minc d'avoir dit à plusieurs reprises que Le Monde était sa « mitzvah », sa bonne action en hébreu. Prétendre nous faire du bien, alors qu'il se sert de nous et qu'il nous a mis dans la panade (voir le Pôle Sud), me semble le comble de l'impudence.

Esprit critique, es-tu là ??

Par Pedro Janocha, web-journaliste (furax)

Nicolas Sarkozy jouit, en n’en plus douter, d’une jolie côte auprès des éditorialistes. L'AFP a ainsi célébré le bel unanimisme qui a entouré l'intervention devant les députés puis sur TF1 du président de la République, mardi 20 juin. Sobrement intitulé « L'intervention de Nicolas Sarkozy jugé ''révolutionnaire" par la presse », la dépêche est une succession de citations dithyrambiques. « Cet homme veut faire ce qu'il a dit. Nouveauté sidérante, qui laisse pantois les parlementaires habitués, comme les Français, à tant de demi-mesures et de franches reculades », constate Alexis Brézet dans Le Figaro. « Cela change du règne précédent avec lequel on a bien compris que la rupture se voulait radicale puisqu'on nous annonce que toutes les promesses, cette fois, seront tenues », souligne Philippe Waucampt dans Le Républicain lorrain.
« Nicolas Sarkozy est, à sa manière, un artiste. Un bateleur dont le numéro est très au point, fait d'un mélange de franchise surjouée, d'étonnement feint, de bon sens, de modestie, d'assurance ", analyse La République des Pyrénées sous la plume de Jean-Marcel Bouguereau. « Quand il parle, tout semble si simple, trop simple », renchérit et de truismes assénés », Olivier Picard dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace. « En l'écoutant, FrançoisFillon a dû se demander ce qu'il aurait encore à raconter la semaine prochaine devant les députés pour son +discours de politique générale ! », imagine Hervé Favre dans La Voix du Nord. »
Un florilège à peine tempéré par Laurent Joffrin (Libération) et Pierre Laurent (L’Humanité), fidèles à leurs étiquettes de journal de gauche. Pascal Aubert surtout, de La Tribune, tente une saillie : « On le savait hyperactif et hyper engagé, on le découvre hyper directif et l'oeil à tout. »
A lire une telle succession de louanges pour un discours qui n'apportait ni idées nouvelles (un service minimum a déjà été mis en place par de Robien il y a bientôt trois ans, ni calendrier précis, on pourrait douter de l'entrain de la presse régionale à faire son travail d'analyse critique… Est-ce déjà passé de mode ?

vendredi 22 juin 2007

Réponse d'une journaliste au chevalier Braillard

Nina Perez (pseudo), journaliste dans un quotidien national

Le mail, signé « Braillard le chevalier sans beurre et sans tartines », a fait le tour du net avant la Présidentielle et réapparaît au lendemain des législatives. On y lit : « pour chaque député non-réélu les Français devront payer 417 120 euros = 60 mois x 6952 euros d’indemnités ». Le courageux anonyme se dit « écoeuré » que les impôts servent à payer « les goldens parachutes » des députés. S’insurge contre ces médias qui n’en « pipent pas un mot ». Sans s’interroger sur la malhonnêteté intellectuelle de son calcul et des commentaires qui l’accompagnent.
Notre chevalier s’est référé très partiellement à la brève parue dans le Canard Enchaîné du 7 février 2007, révélant que Jean-Louis Debré avait, avant de quitter la présidence de l’Assemblée nationale, « décidé de soigner les députés battus devenus chômeurs en juin prochain ». L’indemnisation chômage des ex hôtes du Palis Bourbon passe en effet ce mois-ci de six mois à…cinq ans ! Le Canard précise qu’une trentaine de députés (80, d’après une autre source) ont perçu une telle allocation depuis 2002. Et que la nouvelle mesure est dégressive : 100% du revenu (5 400 euros net) pendant six mois, 70 % les six mois suivant, puis 60 %, 50 % et 20 % au bout de quatre ans et demi.
Le propos n’est pas de juger cette mesure, qui dans la bouche de son initiateur vise à encourager des non professionnels de la politique à s’engager dans la vie publique, mais de relativiser la teneur de ce type de mail, qui circule sur internet et provoque comme réaction immédiate : « C’est écoeurant ! Pourquoi les médias n’en parlent pas ! » Soit dit en passant, contrairement à ce qu’affirme le mail, des articles sont parus dans le Midi Libre, mais aussi dans le Figaro, les Echos, la Croix, l’Express. Et des radios comme des télévisions en ont parlé.
Seulement, les journalistes ont peut-être fait leur travail et ne se sont pas contenté, comme notre chevalier, d’aller chercher sur le site de l’Assemblée nationale le montant du revenu brut du député pour le multiplier par les soixante mois d’une législature. Puis d'accompagner la pharaonique somme d’un copier-coller de la fiche sur la situation matérielle des députés (indemnités de résidence, de fonction…) figurant sur le même site.
Le mail s’abstient également de préciser que la nouvelle indemnisation chômage est financée par une cotisation de 0,5% prélevée chaque mois sur le traitement des députés. Comme c’est le cas depuis 1994. Cette « allocation de retour à l’emploi » s’élève à 27 euros, soit une cagnotte sur cinq ans de ( 27 x 577 députés = 15 579 euros x 12 mois = 186 948 euros x 5 ans de législature =) 934 740 euros. Il ne s'agit donc pas d'une somme supplémentaire prélevée sur l'impôt. Autre omission, l’indemnité n’est destinée qu’aux élus n’appartenant pas à la fonction publique (70% des députés) et non admissibles à la retraite. Elle cesse de surcroît d’être versée dès la reprise d’un emploi (le mail parle d’une indemnisation à vie !). Mais le vrai scandale est qu' un ex-député retrouve rapidement un emploi. Puisque l’indemnité a bénéficié à si peu de députés que la caisse qui la gère est largement excédentaire. Pas vraiment de quoi faire la une de tous les médias !

lundi 18 juin 2007

Petits procédés de pression ordinaires

Par Bernard Prolot, journaliste-pigiste de magazines culturels

L'ancien rédacteur en chef de LUNDI INVESTIGATION, une émission réputée d'enquêtes sur CANAL+, qui a sorti plusieurs affaires (Le "suicide" de Robert Boulin, le harcèlement moral à AXA, le "suicide" du juge Borel, etc.), produit une édifiante réflexion sur les manipulateurs de l'information (1). Le passage sur les Spin doctors, chargés de présenter une face positive de l'information, voire d'inventer cette face, mérite attention.
Ainsi, pour les élections américaines, ceux-ci ont fait passer George W. Bush pour un héros de guerre et John Kerry pour un lâche. Un de leurs leviers : ils jouent sur la trop grande dépendance des journalistes à l'égard de leurs sources. Pour Moreira, "les services de communication emprisonnent les journalistes en maintenant un contact permanent". Quand ils ne leur proposent pas des ménages... c'est-à-dire des prestations extrêmement bien payées. A son sens, les pressions directes sur les rédactions sont très rares, car risquées. Car au grand jour, elles "enregistrent un effet négatif exponentiel".
Sauf en politique! En effet, maintenant, des cellules d'information dans les ministères n'hésitent pas à intervenir. Le rôle des Spin doctors s'attache à gérer la perception du public. Exemple aux USA, où un rapport établit que la CIA et le cartel de Medellin collaborent pour importer du crack. Sur les conseils des Spin doctors, le rapport de la Commission d'enquête sort en pleine affaire Monica Lewinsky. Du coup, personne n'y prête plus attention.
Le journaliste après un séjour en Irak, dénonce le système des journalistes "embedded", c'est-à-dire intégrés dans les troupes. "C'est un piège. La sympathie est trop forte : on est forcément positifs. Le reporter est piégé : impossible de surcroît de passer d'un camp à l'autre. Enfin quel intérêt de voir le pays à travers une vitre blindée?"
Moreira se félicite de l'outil d'Internet pour mettre à jour les censures ou les abus du pouvoir. Ce fut le cas pour le grand-père chinois sans papiers arrêté à la sortie de l'école dans le 19e arrondissement de Paris juste avant le premier tour de la Présidentielle. Toute la France a été informée du déroulement réel des faits. Le rêve pour un journaliste honnête.

(1)Paul Moreira, Les nouvelles formes de censures, Ed Robert Laffont

mercredi 13 juin 2007

Secrets, fuites et manipulations


Par Philippe Madelin, écrivain d'investigation

Comment, par exemple, les pièces judiciaires qui ont alimenté la presse dans l'Affaire Clearstream se sont-elles retrouvées à ciel ouvert, alors qu'elles étaient normalement couvertes par les secret de l'enquête et de l'instruction ? Le premier interrogatoire du général Rondot a été publié alors qu'aucun avocat ne disposait d'une copie intégrale de cet interrogatoire. Si les interrogatoires sont signés par l'avocat, ni ce dernier ni le prévenu n'en reçoivent une copie immédiate : ils sont cotés, paraphés et versés dans le dossier, il faut ensuite en demander copie et attendre environ 1 mois. Les « fuites » d'informations et de dossiers qualifiés de « secrets » sont un perpétuel sujet d'étonnement pour le grand public. Le phénomène a beau ne pas être nouveau, il surprend encore.
Cette question du secret est en principe régie par des textes législatifs remontant à la veille de la deuxième guerre mondiale. Il s'agissait à l'époque de protéger les secrets de la Défense nationale contre les investigations des services secrets nazis. Le décret-loi Daladier du 17 juin 1938 définit l'espionnage comme un crime de trahison, puni par la peine de mort. Il est suivi par le décret-loi du 10 février 1939, qui codifie le Secret défense. Seuls les agents habilités peuvent être détenteurs de secrets soit tous les officiers de la DGSE, de la DPSD, de la DST et, depuis 2005, les policiers des Renseignements généraux, ainsi que les magistrats et les policiers qui contribuent aux enquêtes judiciaires, où le secret est défini par les Code pénal et Code de procédure pénale
Depuis, la situation s'est figée, et les fonctionnaires en sont généralement restés là, convaincus que cette barrière juridique était assez haute pour endiguer les curiosités malsaines. Dans la pratique, la loi n'empêche rien, ces secrets ne cessant d'être brisés. Les modalités de la circulation de l'information (notamment avec internet) s'opposent aujourd'hui de façon absolue au maintien du secret. L'avocat Bernard Warusfel soutient même qu'il n'y a pas de secret que l'histoire ne contribue pas à révéler : ce fut d'abord une question d'année, puis de mois, de semaines. Et, aujourd'hui, de jours. Dans les Services dits secrets, on admet que 95 % des secrets ne le sont plus : il suffit de savoir chercher.
Chercher où ? Eh bien, partout. Désormais, tout journaliste, tout enquêteur un peu malin sait comment piller les banques de données, contourner les barrières, ils obtiennent des détails de plus en plus précis permettant de reconstituer des puzzles complexes. Les « sources humaines » accroissent les potentiels : dans les grandes affaires, les intervenants sont multiples, pas toujours avertis des risques consécutifs aux divulgations. La volonté de ne pas conserver par devers soi des secrets trop lourds et des règlements de comptes entre services concurrents grossissent le fleuve. Plus grave, des fonctionnaires ou des magistrats en place sont conduits à employer les fuites comme moyens de manipulations : lors de mon enquête sur l'affaire des HLM de la Ville de Paris, un policier m'a expliqué que les fuites étaient utilisées pour pousser les témoins à parler.
Les motivations des témoins sont, elles, multiples. Et pas toujours très claires. Ainsi, la concurrence entre syndicats de policiers peut conduire sur la place publique les secrets les mieux gardés. On doit se souvenir que dans une institution comme la Police nationale, toutes les nuances politiques sont présentes, de l'extrême droite à l'extrême gauche, les syndicats proches du centre gauche étant omniprésents. Les élections syndicales pour désigner les représentants policiers dans les Commissions paritaires, à l'automne, donnent lieu à des surenchères et à des « fuites ».
Le déferlement de l'information par les canaux du réseau Internet amplifie d'autant plus le phénomène que les sources sont difficilement identifiables, parfois originaires de l'étranger. Du moins officiellement. Le rapport de l'INHES sur l'affaire des banlieues diffusé en avril dernier est à cet égard caractéristique : confidentiel à l'origine, il a été transmis à l'AFP par une « main experte ». J'ai pu retracer une partie du parcours qui a suivi : transmission au service d'information de la Préfecture du 9.3, qui a demandé leur avis aux intéressés. Lesquels ont été interrogés par le journaliste de l'AFP. Rien que de très normal, sauf que personne ne s'était intéressé au rapport, il a fallu plus d'un mois pour qu'il s'étale finalement sur la place publique. Au moment de la campagne pour les Présidentielles …