dimanche 1 juillet 2007

Les Echos, cent ans d’indépendance et après ?

Par Renaud Czarnes, de la Société des journalistes des Echos

Les quotidiens économiques Les Echos et La Tribune sont en vente. Le groupe d’édition britannique Pearson a annoncé mi-juin le processus de cession des Echos puis, sous la pression, a concédé être en négociation exclusive avec Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, lequel se séparerait d’une partie de La Tribune. Il ne pourrait s'agir que d’un énième événement économique. Après tout, qu’un chef d’entreprise vende une entreprise pour en racheter une autre est un acte courant dans la vie des affaires. « De quoi vous plaignez-vous, vous qui, à longueur de colonnes, évoquez les OPA, les cessions d’entreprises et les plans sociaux ? », nous ont dit en substance certains confrères journalistes. La rédaction des Echos, si prompte à narrer les hauts-faits du capitalisme ne saurait plus à quel saint se vouer dès lors qu’elle n’est plus témoin mais acteur (ou victime). C’est mal comprendre de quoi il est question que de raisonner ainsi.
La cession éventuelle des Echos à Arnault, ou à tout autre industriel français, met en péril l’indépendance et la crédibilité qui font le succès de ce quotidien depuis presque un siècle. Bernard Arnault, président de LVMH, détient personnellement ou par l’intermédiaire de ses sociétés des intérêts dans de nombreux secteurs industriels. Numéro un mondial du luxe (Louis Vuitton, Dior…), il est actionnaire du distributeur Carrefour et investisseur à titre individuel dans plusieurs fonds. En résumé, LVMH est le groupe industriel avec lequel il y a le plus de risques de conflits d’intérêts.
Conflit d'intérêts
Pour acquérir les Echos, le patron de LVMH offrirait un prix extrêmement élevé. On évoque le chiffre de 250 millions d’euros, soit 25 fois le résultat opérationnel du quotidien. Cette somme lui a permis d’écarter les autres prétendants et d’entrer en négociations exclusives avec Pearson (qui, remarquons-le en passant, profite grandement ici du dévouement et de l’abnégation des salariés du groupe Les Echos). L’enjeu n’est pas seulement financier. Il s’agit aussi de disposer à travers le premier quotidien économique français d’un instrument d’influence et de pouvoir.
A certains égards, Les Echos ressemblent à une agence de presse écrite dans le domaine de l’information économique. Nos lecteurs nous le disent : quand ils nous ont lu, ils ont le sentiment de n’avoir rien raté. Comment nos lecteurs pourront-ils s’informer de façon fiable sur la multitude de domaines d’activités dans lesquels le groupe de Bernard Arnault est présent ? Comment garantir aux concurrents de LVMH un traitement équitable ? Les journalistes seront en situation de conflit d’intérêt permanent. Même si Bernard Arnault n’intervient pas dans les choix éditoriaux, la marque « Les Echos » risque d’être ternie par des soupçons permanents de conflits d’intérêts. Qui aurait foi en un journal automobile qui appartiendrait à un constructeur comme Peugeot ou Renault ?En dépit de sa promesse de préserver l’indépendance éditoriale du journal, certains doutes sont permis. Nos collègues du journal La Tribune ont à plusieurs reprises protesté contre des interventions manifestes sur le contenu rédactionnel. Pourrait-il en être autrement pour les Echos ? Imagine-t-on quelqu’un s’acheter une Ferrari pour en laisser le volant à quelqu’un d’autre ?
Vous rêvez les gars !
« Depuis quand les salariés choisissent-ils leur patron ? Mais vous rêvez les gars ! », nous a lancé la semaine dernière un proche du président de la République. Il trouvait bien peu libéraux les représentants d’un journal libéral. Alors oui, depuis quand ? Depuis que l’arrivée possible d’un nouvel actionnaire de référence pose la question de la crédibilité éditoriale et, à terme, de la valeur de l’entreprise. Logiquement, l’expression « création de valeur » sonne agréablement aux oreilles des thuriféraires du marché. Justement, cette cession, si elle se réalise, serait « destructrice de valeur ». Perte d’indépendance = perte de crédit = baisse d’audience. La suite est simple. Une condition essentielle de l’optimum économique du système libéral est la transparence et la qualité de l’information : les Echos ne peuvent devenir la propriété d’un des principaux acteurs du marché financier. CQFD.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

This is great info to know.