Par Nina Perez, journaliste dans un quotidien national
Avis de tempête. Un fort vent de révolte souffle sur la profession. Il a poussé les journalistes des Echos à trouver un chevalier blanc (Fimalac, groupe français de services financiers) pour contrer l’assaut d’Arnault (LVMH). Il force leurs confrères de la Tribune (que possède et devra vendre le même LVMH) à se battre pour que le titre soit cédé avec sa régie publicitaire (55% des revenus). Il amène les journalistes du Monde à demander à Alain Minc (conseiller des patrons du Cac 40 et de l’Elysée !) de quitter la présidence du conseil de surveillance du journal. Au nom d’une même nécessité : l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs financiers et politiques. Et d’un même principe: le pluralisme de la presse, inscrit, rappelons-le, dans le préambule de la Constitution.
Rachats des principaux titres par d’influents groupes industriels (Dassault, Lagardère, Arnault, Bolloré …). Multiplication des cas de censure. Banalisation de l’autocensure. Chantages au droit de veto des journalistes sur des décisions stratégiques ou la nomination de dirigeants (Libération). Perquisitions pour connaître les sources (Canard Enchaîné). Ces couleuvres, les 38.000 journalistes français les ont (trop) docilement avalées ces dernières années. La faute au marché du travail (sinistré). A l’individualisme. A la difficulté de mobiliser une profession extrêmement diverse (par les supports, les salaires, la quantité de travail…).
Seulement, aujourd’hui, les journalistes n’ont plus le choix. Il en va de l’honneur, sinon de la survie, de la profession. Car la boîte de Pandore est ouverte. Dans leurs récents combats, les journalistes ont, exemples à l’appui, confié leurs craintes ou leurs difficultés d’exercer honnêtement leur métier dans certaines circonstances. Qu’on le veille ou pas, le doute s’insinuera plus facilement. Et le discrédit à l’égard des journalistes risque de croître.
C’est pourquoi, il faut aller jusqu’au bout. Revendiquer les moyens de notre indépendance. Mais aussi savoir faire notre autocritique. Sortir du train-train. Réapprendre à étonner, passionner, enquêter. Pour reconquérir l’estime de la population.
Sans cette estime; comment obtenir son adhésion pour, par exemple, s’opposer à la modification du statut des journalistes, que la droite serait parvenue à faire passer en catimini. La réécriture du code du travail, validée par ordonnance en mars 2007, pourrait en effet avoir des lourdes conséquences. D’après les syndicats, il n’y serait plus fait mention du mois de salaire par année d'ancienneté auquel a droit un journaliste en cas de licenciement. Cette « clause de conscience ou de cession » est, depuis l’entre-deux-guerres, l’un des garants de l’indépendance de la profession.
Exorbitante du droit commun, elle permet à un journaliste, en cas de changement notable d'orientation de la publication, de partir avec des indemnités, comme si le départ n'était pas de son fait. Dans ce contexte de rachats, la révision à la baisse de ces indemnités permettrait de réduire le coût des plans de restructuration. Une aubaine pour les amis de Sarkozy, qui font actuellement leur marché dans les médias français.
dimanche 15 juillet 2007
mercredi 11 juillet 2007
L’avenir de Rue89 dépendra aussi de la pub
Par Philippe Madelin, collaborateur régulier à Rue89
Les bureaux du nouveau site d'information sur Internet Rue89 vont déménager pour la troisième fois. Pierre Haski, ex de Libération, et son équipe ont commencé les opérations à la mi-mai dans sa salle à manger. Ils ont continué dans un entrepôt du 12ème arrondissement. Cette fois, ils s’apprêtent à emménager dans une pépinière d'entreprises développée par la Ville de Paris dans le 20ème arrondissement. Au gré de ces localisations, la bande de Rue89 peut mesurer le chemin parcouru en à peine trois mois.
L'idée de départ était de lancer sur internet, et uniquement sur internet, un véritable organe de presse. Avec une dizaine de journalistes. Toutes les rubriques d'un quotidien. Mais une spécificité inaccessible à la presse papier : un contenu composé à la fois d'écrits, de photos et d'importants apports audiovisuels. Le tout sans grands moyens puisque l'investissement initial a été constitué par les « indemnités de départ » d'Haski et de ses proches, en majorité issus de Libération, et par le matériel que chacun a apporté.
Le défi était d'imposer le site, sa marque, sans support papier. Un " scoop coup de chance " a lancé la machine, quand Rue89 a révélé que Cécilia Sarkozy n'avait pas voté au premier tour des Présidentielles. Depuis le site met l'accent sur l'information exclusive.
Rue89 s'est installé dans la foulée. « On en est à 500 000 contacts par mois », selon Haski, ce qui représente la moyenne haute des sites informatiques. Le site se décline aujourd'hui en anglais (Street89) et en espagnol (Calle89). D'autres développements sont prévus. En particulier, le lancement le 5 septembre sous la direction de Jérôme Garcin d'un site littéraire commun avec le Nouvel Observateur, bibliobs.com. Mais, surtout, la publicité arrive : Haski n'escomptait pas de rentrées financières avant quatre mois, or les premiers contrats de publicité (au tarif minimum il est vrai) permettent de remplir un peu les caisses. Même si on est très loin de l'équilibre. Même si les journalistes ne sont pas encore payés : ils ne sont pas des bénévoles, ils investissent dans l'avenir.
Après deux mois, il est difficile de se prononcer sur l'avenir. Apprécié des internautes, le site est encore loin d'assurer toutes les rubriques d'un quotidien, le politique a tendance à être sur-représenté. Quant au bénévolat des collaborateurs extérieurs (experts, internautes), il a vite présenté les inconvénients attendus : malgré la bonne volonté des uns et des autres, la capacité d'enquête reste relativement virtuelle.
L'avenir se jouera quand les fonds initiaux seront épuisés. Au regard du chiffre d'affaires de la pub.
Les bureaux du nouveau site d'information sur Internet Rue89 vont déménager pour la troisième fois. Pierre Haski, ex de Libération, et son équipe ont commencé les opérations à la mi-mai dans sa salle à manger. Ils ont continué dans un entrepôt du 12ème arrondissement. Cette fois, ils s’apprêtent à emménager dans une pépinière d'entreprises développée par la Ville de Paris dans le 20ème arrondissement. Au gré de ces localisations, la bande de Rue89 peut mesurer le chemin parcouru en à peine trois mois.
L'idée de départ était de lancer sur internet, et uniquement sur internet, un véritable organe de presse. Avec une dizaine de journalistes. Toutes les rubriques d'un quotidien. Mais une spécificité inaccessible à la presse papier : un contenu composé à la fois d'écrits, de photos et d'importants apports audiovisuels. Le tout sans grands moyens puisque l'investissement initial a été constitué par les « indemnités de départ » d'Haski et de ses proches, en majorité issus de Libération, et par le matériel que chacun a apporté.
Le défi était d'imposer le site, sa marque, sans support papier. Un " scoop coup de chance " a lancé la machine, quand Rue89 a révélé que Cécilia Sarkozy n'avait pas voté au premier tour des Présidentielles. Depuis le site met l'accent sur l'information exclusive.
Rue89 s'est installé dans la foulée. « On en est à 500 000 contacts par mois », selon Haski, ce qui représente la moyenne haute des sites informatiques. Le site se décline aujourd'hui en anglais (Street89) et en espagnol (Calle89). D'autres développements sont prévus. En particulier, le lancement le 5 septembre sous la direction de Jérôme Garcin d'un site littéraire commun avec le Nouvel Observateur, bibliobs.com. Mais, surtout, la publicité arrive : Haski n'escomptait pas de rentrées financières avant quatre mois, or les premiers contrats de publicité (au tarif minimum il est vrai) permettent de remplir un peu les caisses. Même si on est très loin de l'équilibre. Même si les journalistes ne sont pas encore payés : ils ne sont pas des bénévoles, ils investissent dans l'avenir.
Après deux mois, il est difficile de se prononcer sur l'avenir. Apprécié des internautes, le site est encore loin d'assurer toutes les rubriques d'un quotidien, le politique a tendance à être sur-représenté. Quant au bénévolat des collaborateurs extérieurs (experts, internautes), il a vite présenté les inconvénients attendus : malgré la bonne volonté des uns et des autres, la capacité d'enquête reste relativement virtuelle.
L'avenir se jouera quand les fonds initiaux seront épuisés. Au regard du chiffre d'affaires de la pub.
mardi 3 juillet 2007
Gros plan sur le système Minc
Par Nina Perez, journaliste dans un quotidien national
Demain, des représentants des salariés du Monde rendront publique une lettre ouverte dans laquelle ils demandent à Alain Minc de partir. Ce conseiller pour entreprises du Cac40 et essayiste à succès tire les ficelles du journal depuis 1994. Jeudi dernier, il n’a pas été réélu au poste de président du Conseil de surveillance du groupe (il lui fallait 11 voix pour avoir la majorité absolue, il n’en a eu que dix). Son premier réflexe a été de contester le vote, comme Colombani l’avait fait quelques semaines plus tôt. Cependant, il n’a pas assisté à la nouvelle réunion du Conseil de surveillance de ce matin, qui a notamment élu en son sein Pierre Jeantet, le nouveau directeur de la rédaction.
Que prépare-t-il ? Un recours devant le tribunal, comme il l’a évoqué ? Un bon conseiller l'en dissuaderait. Un tel acharnement à rester dans un organe de presse, contre l’avis de la majorité des salariés et des journalistes, risquerait d’attirer l’attention sur le système Minc. Et de donner un nouveau coup de projecteur sur " Petits Conseils " (Stock), le livre de Laurent Mauduit. Son auteur a démissionné de son poste de chef du service économique du Monde après s’être fait censurer une enquête sur les Caisses d’épargne. Par la suite, il a découvert que la banque était non seulement conseillée par Alain Minc, mais qu’elle avait été invitée à renflouer les caisses du Monde.
Ce n’est que l’un des nombreux exemples de conflits d’intérêts détaillés dans le livre. Dans les projets de fusions (souvent fumeux) qu’il tente de provoquer, Minc peut conseiller, sans vergogne, à la fois le prédateur, la proie, voire le « chevalier blanc ». De nombreux patrons, qui se sont sentis trahis par leur conseiller, ont confié leur déboires à Mauduit. On y apprend aussi que Minc touche 1% des plus-values que réalise Vincent Bolloré, patrons de médias concurrents (Direct 8, Direct Soir) ou … commun (Matin plus) ! Mais aussi qu’il conseillait Edouard Rothschild lorsqu’on évoquait la disparition possible de Libération si les journalistes n’acceptaient pas le plan social et la renonciation à une partie de leurs droits de véto.
Portrait peu reluisant. Mais ce qui a fait déborder la goutte du vase pour les journalistes du Monde est l’amitié affichée de Minc pour Nicolas Sarkozy. Qu’il se vante même de conseiller. Son ami lui trouvera peut-être une place dans une grande entreprise (mais il n’a jamais brillé en tant que gestionnaire) ou dans un ministère. Un poste qui offrirait à Alain une porte de sortie honorable. Et à Nicolas, l’économie d’un énième procès sur l’indépendance discutable du système médiatique français. Des papiers commencent à paraître dans la presse internationale. La main invisible de Nicolas dans les médias offre une image peu flatteuse de la démocratie française.
Demain, des représentants des salariés du Monde rendront publique une lettre ouverte dans laquelle ils demandent à Alain Minc de partir. Ce conseiller pour entreprises du Cac40 et essayiste à succès tire les ficelles du journal depuis 1994. Jeudi dernier, il n’a pas été réélu au poste de président du Conseil de surveillance du groupe (il lui fallait 11 voix pour avoir la majorité absolue, il n’en a eu que dix). Son premier réflexe a été de contester le vote, comme Colombani l’avait fait quelques semaines plus tôt. Cependant, il n’a pas assisté à la nouvelle réunion du Conseil de surveillance de ce matin, qui a notamment élu en son sein Pierre Jeantet, le nouveau directeur de la rédaction.
Que prépare-t-il ? Un recours devant le tribunal, comme il l’a évoqué ? Un bon conseiller l'en dissuaderait. Un tel acharnement à rester dans un organe de presse, contre l’avis de la majorité des salariés et des journalistes, risquerait d’attirer l’attention sur le système Minc. Et de donner un nouveau coup de projecteur sur " Petits Conseils " (Stock), le livre de Laurent Mauduit. Son auteur a démissionné de son poste de chef du service économique du Monde après s’être fait censurer une enquête sur les Caisses d’épargne. Par la suite, il a découvert que la banque était non seulement conseillée par Alain Minc, mais qu’elle avait été invitée à renflouer les caisses du Monde.
Ce n’est que l’un des nombreux exemples de conflits d’intérêts détaillés dans le livre. Dans les projets de fusions (souvent fumeux) qu’il tente de provoquer, Minc peut conseiller, sans vergogne, à la fois le prédateur, la proie, voire le « chevalier blanc ». De nombreux patrons, qui se sont sentis trahis par leur conseiller, ont confié leur déboires à Mauduit. On y apprend aussi que Minc touche 1% des plus-values que réalise Vincent Bolloré, patrons de médias concurrents (Direct 8, Direct Soir) ou … commun (Matin plus) ! Mais aussi qu’il conseillait Edouard Rothschild lorsqu’on évoquait la disparition possible de Libération si les journalistes n’acceptaient pas le plan social et la renonciation à une partie de leurs droits de véto.
Portrait peu reluisant. Mais ce qui a fait déborder la goutte du vase pour les journalistes du Monde est l’amitié affichée de Minc pour Nicolas Sarkozy. Qu’il se vante même de conseiller. Son ami lui trouvera peut-être une place dans une grande entreprise (mais il n’a jamais brillé en tant que gestionnaire) ou dans un ministère. Un poste qui offrirait à Alain une porte de sortie honorable. Et à Nicolas, l’économie d’un énième procès sur l’indépendance discutable du système médiatique français. Des papiers commencent à paraître dans la presse internationale. La main invisible de Nicolas dans les médias offre une image peu flatteuse de la démocratie française.
dimanche 1 juillet 2007
Les Echos, cent ans d’indépendance et après ?
Par Renaud Czarnes, de la Société des journalistes des Echos
Les quotidiens économiques Les Echos et La Tribune sont en vente. Le groupe d’édition britannique Pearson a annoncé mi-juin le processus de cession des Echos puis, sous la pression, a concédé être en négociation exclusive avec Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, lequel se séparerait d’une partie de La Tribune. Il ne pourrait s'agir que d’un énième événement économique. Après tout, qu’un chef d’entreprise vende une entreprise pour en racheter une autre est un acte courant dans la vie des affaires. « De quoi vous plaignez-vous, vous qui, à longueur de colonnes, évoquez les OPA, les cessions d’entreprises et les plans sociaux ? », nous ont dit en substance certains confrères journalistes. La rédaction des Echos, si prompte à narrer les hauts-faits du capitalisme ne saurait plus à quel saint se vouer dès lors qu’elle n’est plus témoin mais acteur (ou victime). C’est mal comprendre de quoi il est question que de raisonner ainsi.
La cession éventuelle des Echos à Arnault, ou à tout autre industriel français, met en péril l’indépendance et la crédibilité qui font le succès de ce quotidien depuis presque un siècle. Bernard Arnault, président de LVMH, détient personnellement ou par l’intermédiaire de ses sociétés des intérêts dans de nombreux secteurs industriels. Numéro un mondial du luxe (Louis Vuitton, Dior…), il est actionnaire du distributeur Carrefour et investisseur à titre individuel dans plusieurs fonds. En résumé, LVMH est le groupe industriel avec lequel il y a le plus de risques de conflits d’intérêts.
Conflit d'intérêts
Pour acquérir les Echos, le patron de LVMH offrirait un prix extrêmement élevé. On évoque le chiffre de 250 millions d’euros, soit 25 fois le résultat opérationnel du quotidien. Cette somme lui a permis d’écarter les autres prétendants et d’entrer en négociations exclusives avec Pearson (qui, remarquons-le en passant, profite grandement ici du dévouement et de l’abnégation des salariés du groupe Les Echos). L’enjeu n’est pas seulement financier. Il s’agit aussi de disposer à travers le premier quotidien économique français d’un instrument d’influence et de pouvoir.
A certains égards, Les Echos ressemblent à une agence de presse écrite dans le domaine de l’information économique. Nos lecteurs nous le disent : quand ils nous ont lu, ils ont le sentiment de n’avoir rien raté. Comment nos lecteurs pourront-ils s’informer de façon fiable sur la multitude de domaines d’activités dans lesquels le groupe de Bernard Arnault est présent ? Comment garantir aux concurrents de LVMH un traitement équitable ? Les journalistes seront en situation de conflit d’intérêt permanent. Même si Bernard Arnault n’intervient pas dans les choix éditoriaux, la marque « Les Echos » risque d’être ternie par des soupçons permanents de conflits d’intérêts. Qui aurait foi en un journal automobile qui appartiendrait à un constructeur comme Peugeot ou Renault ?En dépit de sa promesse de préserver l’indépendance éditoriale du journal, certains doutes sont permis. Nos collègues du journal La Tribune ont à plusieurs reprises protesté contre des interventions manifestes sur le contenu rédactionnel. Pourrait-il en être autrement pour les Echos ? Imagine-t-on quelqu’un s’acheter une Ferrari pour en laisser le volant à quelqu’un d’autre ?
Vous rêvez les gars !
« Depuis quand les salariés choisissent-ils leur patron ? Mais vous rêvez les gars ! », nous a lancé la semaine dernière un proche du président de la République. Il trouvait bien peu libéraux les représentants d’un journal libéral. Alors oui, depuis quand ? Depuis que l’arrivée possible d’un nouvel actionnaire de référence pose la question de la crédibilité éditoriale et, à terme, de la valeur de l’entreprise. Logiquement, l’expression « création de valeur » sonne agréablement aux oreilles des thuriféraires du marché. Justement, cette cession, si elle se réalise, serait « destructrice de valeur ». Perte d’indépendance = perte de crédit = baisse d’audience. La suite est simple. Une condition essentielle de l’optimum économique du système libéral est la transparence et la qualité de l’information : les Echos ne peuvent devenir la propriété d’un des principaux acteurs du marché financier. CQFD.
Les quotidiens économiques Les Echos et La Tribune sont en vente. Le groupe d’édition britannique Pearson a annoncé mi-juin le processus de cession des Echos puis, sous la pression, a concédé être en négociation exclusive avec Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, lequel se séparerait d’une partie de La Tribune. Il ne pourrait s'agir que d’un énième événement économique. Après tout, qu’un chef d’entreprise vende une entreprise pour en racheter une autre est un acte courant dans la vie des affaires. « De quoi vous plaignez-vous, vous qui, à longueur de colonnes, évoquez les OPA, les cessions d’entreprises et les plans sociaux ? », nous ont dit en substance certains confrères journalistes. La rédaction des Echos, si prompte à narrer les hauts-faits du capitalisme ne saurait plus à quel saint se vouer dès lors qu’elle n’est plus témoin mais acteur (ou victime). C’est mal comprendre de quoi il est question que de raisonner ainsi.
La cession éventuelle des Echos à Arnault, ou à tout autre industriel français, met en péril l’indépendance et la crédibilité qui font le succès de ce quotidien depuis presque un siècle. Bernard Arnault, président de LVMH, détient personnellement ou par l’intermédiaire de ses sociétés des intérêts dans de nombreux secteurs industriels. Numéro un mondial du luxe (Louis Vuitton, Dior…), il est actionnaire du distributeur Carrefour et investisseur à titre individuel dans plusieurs fonds. En résumé, LVMH est le groupe industriel avec lequel il y a le plus de risques de conflits d’intérêts.
Conflit d'intérêts
Pour acquérir les Echos, le patron de LVMH offrirait un prix extrêmement élevé. On évoque le chiffre de 250 millions d’euros, soit 25 fois le résultat opérationnel du quotidien. Cette somme lui a permis d’écarter les autres prétendants et d’entrer en négociations exclusives avec Pearson (qui, remarquons-le en passant, profite grandement ici du dévouement et de l’abnégation des salariés du groupe Les Echos). L’enjeu n’est pas seulement financier. Il s’agit aussi de disposer à travers le premier quotidien économique français d’un instrument d’influence et de pouvoir.
A certains égards, Les Echos ressemblent à une agence de presse écrite dans le domaine de l’information économique. Nos lecteurs nous le disent : quand ils nous ont lu, ils ont le sentiment de n’avoir rien raté. Comment nos lecteurs pourront-ils s’informer de façon fiable sur la multitude de domaines d’activités dans lesquels le groupe de Bernard Arnault est présent ? Comment garantir aux concurrents de LVMH un traitement équitable ? Les journalistes seront en situation de conflit d’intérêt permanent. Même si Bernard Arnault n’intervient pas dans les choix éditoriaux, la marque « Les Echos » risque d’être ternie par des soupçons permanents de conflits d’intérêts. Qui aurait foi en un journal automobile qui appartiendrait à un constructeur comme Peugeot ou Renault ?En dépit de sa promesse de préserver l’indépendance éditoriale du journal, certains doutes sont permis. Nos collègues du journal La Tribune ont à plusieurs reprises protesté contre des interventions manifestes sur le contenu rédactionnel. Pourrait-il en être autrement pour les Echos ? Imagine-t-on quelqu’un s’acheter une Ferrari pour en laisser le volant à quelqu’un d’autre ?
Vous rêvez les gars !
« Depuis quand les salariés choisissent-ils leur patron ? Mais vous rêvez les gars ! », nous a lancé la semaine dernière un proche du président de la République. Il trouvait bien peu libéraux les représentants d’un journal libéral. Alors oui, depuis quand ? Depuis que l’arrivée possible d’un nouvel actionnaire de référence pose la question de la crédibilité éditoriale et, à terme, de la valeur de l’entreprise. Logiquement, l’expression « création de valeur » sonne agréablement aux oreilles des thuriféraires du marché. Justement, cette cession, si elle se réalise, serait « destructrice de valeur ». Perte d’indépendance = perte de crédit = baisse d’audience. La suite est simple. Une condition essentielle de l’optimum économique du système libéral est la transparence et la qualité de l’information : les Echos ne peuvent devenir la propriété d’un des principaux acteurs du marché financier. CQFD.
Un clan se partage les médias
Par Nina Perez, journaliste dans un quotidien national
Un petit nombre d’industriels continuent de jouer au monopoly avec les médias français. Bernard Arnault (LVMH) a mis un gros chèque sur la table pour s’offrir le journal économique Les Echos, mis en vente par le britannique Pearson (Financial Times …). L’homme le plus riche de France possède déjà son concurrent La Tribune, qu’il pourrait céder à Vincent Bolloré, autre industriel propriétaire de médias (Direct 8, Direct soir, Matin plus…). Et alors, où est le problème ? Il faut bien de l’argent pour financer des organes de presse, de surcroît souvent déficitaires et/ou endettés.
Peut-être, mais la démocratie française sortirait grandie si ses journaux appartenaient, comme ailleurs, à des groupes spécialisés dans la presse et l’édition. Et non, comme en France, à des industriels, officiant dans le luxe (LVMH), l’armement (Dassault) ou les matières premières (Bolloré). Cela éviterait le mélange des genres. Il est délicat, en effet, pour un journaliste d’avoir à écrire sur une des nombreuses autres entreprises de son propre patron. Il est inquiétant, surtout, pour la démocratie et le pluralisme de la presse que ces mêmes patrons affichent publiquement leur amitié pour Nicolas Sarkozy.
La plupart ont levé la coupette au Fouquet’s le soir de l’élection de leur ami. S’y trouvait notamment Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde. Ce conseiller des dirigeants du Cac 40 et des patrons des médias (Bolloré ou Rothschild/ Libération) se vante désormais de prodiguer ses petits conseils à Nicolas Sarkozy. Furieuse, la Société des Rédacteurs du Monde a voté une motion de défiance à son égard. Elle « s’inquiète des activités de conseil d’Alain Minc qui interfèrent avec la vie du groupe Le Monde et de ses prises de position publiques qui jettent un doute sur l’indépendance et la crédibilité de ses publications ». Minc n’a pas été réélu à la tête du Conseil de surveillance jeudi dernier. Mais, comme à son habitude, il n’a sans doute pas dit son dernier mot …
Cette semaine sera décisive pour l’avenir des Echos, de La Tribune et du Monde. Les journalistes de ces rédactions ne veulent plus faire les frais du jeu de monopoly entre quelques barons. Qui constitue un repoussoir pour les lecteurs. Le moment est donc peut-être venu d’engager un grand débat citoyen sur l’indépendance et le pluralisme des médias. Des garde-fous sont à sauvegarder (droits moraux, droits de véto des journalistes que l'on essaye, un peu partout, de remettre de cause) ou à imaginer (avec les lecteurs) pour que la presse redevienne le contre-pouvoir, nécessaire à toute démocratie.
Un petit nombre d’industriels continuent de jouer au monopoly avec les médias français. Bernard Arnault (LVMH) a mis un gros chèque sur la table pour s’offrir le journal économique Les Echos, mis en vente par le britannique Pearson (Financial Times …). L’homme le plus riche de France possède déjà son concurrent La Tribune, qu’il pourrait céder à Vincent Bolloré, autre industriel propriétaire de médias (Direct 8, Direct soir, Matin plus…). Et alors, où est le problème ? Il faut bien de l’argent pour financer des organes de presse, de surcroît souvent déficitaires et/ou endettés.
Peut-être, mais la démocratie française sortirait grandie si ses journaux appartenaient, comme ailleurs, à des groupes spécialisés dans la presse et l’édition. Et non, comme en France, à des industriels, officiant dans le luxe (LVMH), l’armement (Dassault) ou les matières premières (Bolloré). Cela éviterait le mélange des genres. Il est délicat, en effet, pour un journaliste d’avoir à écrire sur une des nombreuses autres entreprises de son propre patron. Il est inquiétant, surtout, pour la démocratie et le pluralisme de la presse que ces mêmes patrons affichent publiquement leur amitié pour Nicolas Sarkozy.
La plupart ont levé la coupette au Fouquet’s le soir de l’élection de leur ami. S’y trouvait notamment Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde. Ce conseiller des dirigeants du Cac 40 et des patrons des médias (Bolloré ou Rothschild/ Libération) se vante désormais de prodiguer ses petits conseils à Nicolas Sarkozy. Furieuse, la Société des Rédacteurs du Monde a voté une motion de défiance à son égard. Elle « s’inquiète des activités de conseil d’Alain Minc qui interfèrent avec la vie du groupe Le Monde et de ses prises de position publiques qui jettent un doute sur l’indépendance et la crédibilité de ses publications ». Minc n’a pas été réélu à la tête du Conseil de surveillance jeudi dernier. Mais, comme à son habitude, il n’a sans doute pas dit son dernier mot …
Cette semaine sera décisive pour l’avenir des Echos, de La Tribune et du Monde. Les journalistes de ces rédactions ne veulent plus faire les frais du jeu de monopoly entre quelques barons. Qui constitue un repoussoir pour les lecteurs. Le moment est donc peut-être venu d’engager un grand débat citoyen sur l’indépendance et le pluralisme des médias. Des garde-fous sont à sauvegarder (droits moraux, droits de véto des journalistes que l'on essaye, un peu partout, de remettre de cause) ou à imaginer (avec les lecteurs) pour que la presse redevienne le contre-pouvoir, nécessaire à toute démocratie.
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