jeudi 9 août 2007

Coulisses de la tournée africaine de Sarkozy


Par Abdoulaye Yade, journaliste français, ayant fait partie de la délégation présidentielle

« Sarkozy, c’est la mort du off », soupirait un journaliste au cours de la récente tournée africaine du Président (mais parle-t-on de « tournée » quand un spectacle n’a que trois « dates » ?). Comme durant la campagne, le nouveau locataire de l’Élysée est accessible et lance les petites phrases à tout va, mettant à bas le sacro-saint principe du « off the record » selon lequel les journalistes gardent pour eux certains propos de leurs interlocuteurs. En effet, cette fois comme lors de son récent voyage au Maghreb, Nicolas Sarkozy a rencontré la « presse accréditée » (celle qui suit le déplacement officiel) hors-micro et hors-caméra, mais sans que soit signifié aux rédacteurs le caractère « non-citable » des propos présidentiels. Ceux-ci se retrouvent donc dans la presse du lendemain ou du surlendemain, selon l’heure parfois tardive de la rencontre, avec généralement la précision de contexte qui s’impose : « au cours d’une rencontre informelle avec la presse», etc.
Ceux qui connurent les premiers voyages officiels de Jacques Chirac se souviennent de ces rencontres encore plus informelles au cours desquelles on pouvait discuter avec le président au bar de l’hôtel, en l’accompagnant dans sa dégustation de la sacro-sainte bière Corona. En apprenait-on plus pour autant ? C’est douteux. Car Nicolas Sarkozy parle, plaide, ment, cherche à convaincre. Le ton n’est pas vraiment celui d’une conférence de presse, les propos sont moins policés, le président lance quelques flèches empoisonnées qu’il garderait pour lui devant les caméras. Ainsi lorsqu’il ironise sur le fait qu’il « n’a pas le carnet d’adresse de Jean-François Probst » (ancien conseiller de Chirac) en Afrique, trait juste destiné à être rapporté dans le microcosme. Il n’hésite pas non plus à sermonner avec un agacement ostensible la gent journalistique qui a osé critiquer le discours hallucinant écrit par Henri Guaino sur l’« Homme africain » qui « jamais ne s’élancera vers l’avenir » et vit « dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance »
« Vos papiers me font penser à ce que vous écriviez sur moi pendant la campagne, grogne le président au pseudo-off de Libreville. Et j’ai fait 31% au premier tour. Ça devrait vous inciter à réfléchir sur vous-mêmes. » Il faut dire que Nicolas Sarkozy avait en face de lui, en gros, trois catégories de journalistes : des muets (généralement par ignorance des dossiers africains), quelques représentants de commerce venus vendre aux présidents visités des pages de pub dans leurs magazines complaisants, et une poignée de rubricards Afrique de la presse nationale relativement hargneux. Considéré comme leur « meneur », Vincent Hugeux, de l’Express, se verra d’ailleurs passer un savon par un conseiller élyséen, à la fin d’un voyage dont il a relaté les coulisses d’une plume acerbe.
On lui saura gré d’avoir listé dans l’édition papier de son magazine une partie des splendides lapsus du Président. Rien que pour cela – faire se gondoler ceux qui savent que Kinshasa n’est plus la capitale du « Zaïre » et encore moins celle du Congo-Brazzaville – il faut inciter le Président à pérenniser ces « off » qui n’en sont plus. Et dont l’un des intérêts est apparemment pour lui, ce n’est pas lui faire offense, de contempler les jolies consoeurs dépêchées par les rédactions parisiennes. Parfois très court vêtues, même à Tripoli. Ce n’est pas la moindre des conséquences de la chute de la maison Chirac que de constater le rajeunissement et la féminisation de la cohorte de journalistes appelée à couvrir un tel déplacement. Exit les vieilles gloires liftées de l’ORTF, place aux jeunes premières des chaînes d’info en continu, habituées à être reconnues par leur voisinage et qui vous regardent de haut quand vous leur demandez benoîtement où elles bossent. Elles ont pour interlocuteurs quelques jeunes loups élyséens à la mèche impeccable, dont la préoccupation est plus de savoir s’ils auront le temps de sortir en boîte en marge du « V.O. » que d’informer utilement la presse. Si ça n’est pas la « rupture », ça…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Encore, encore ! Bravo pour le récit. Le dernier paragraphe est savoureux. On a l'impression d'y être ... Euh, des photos, du nouveau bataillon de journalistes femmes accompagnant Sarko ??