Par Lou Charaïre, journaliste du Monde
Donc, si l’on en croit ses déclarations aux médias, le directoire du Monde a démissionné, le 19 décembre, parce que l’actionnaire de référence du groupe de presse, la Société des Rédacteurs du Monde (SRM), se mêlait de façon abusive de cogestion de l’entreprise, décidait à la place des mandataires sociaux et contestait la stratégie de ceux-ci. Un abus de pouvoir en quelque sorte.
Tout à fait d’accord pour reconnaître qu’on ne peut pas manipuler un volant à plusieurs et que le pouvoir ne se divise pas plus que le point en géométrie. Tout à fait d’accord pour que les directeurs dirigent seuls, mais est-ce un mélange des genres qu’a pratiqué la SRM ?
Elle n’a pas contesté la stratégie du directoire, puisque celui-ci n’en a rendue publique aucune. En revanche, elle a refusé de voter le budget de la filiale du Monde Interactif, qui s’obstine à ne pas vouloir développer ses sites internet en accord avec le quotidien.
Elle n’a pas décidé à la place des mandataires sociaux. Elle leur a dit qu’elle refuserait les augmentations de rémunérations qu’ils demandaient et qui lui semblaient particulièrement indécentes au moment où un sévère plan d’économies est en préparation. Et elle a rendu public ce refus auprès de ses mandants, les journalistes, ce qui est bien le moins.
Elle n’a pas pratiqué la cogestion, mais joué pleinement son rôle de défenseur des intérêts de la communauté journalistique en interrogeant le directoire, puis en soulignant les faiblesses et les contradictions des mesures à l’étude.
Elle n’a pas le pouvoir de bloquer ou d’imposer, mais le devoir d’éclairer et elle l’a assumé.
Ce qui est en question dans la crise ouverte par le directoire, c’est l’indispensable contre-pouvoir qu’exerce la SRM. Si, avec la complicité d’Alain Minc, le président du conseil de surveillance, celle-ci se voyait réduite à l’état de béni-oui-oui, nul doute qu’il serait plus facile aux dirigeants d’imposer, par exemple, aux salariés du journal des sacrifices…qu’ils se dispenseront de s’infliger.
Un passé récent au Monde et le théâtre politique tous les jours confirment que « certains ne ‘tiennent’ pas le pouvoir, au sens où l’on ne ‘tient’ pas le vin » (Hubert Beuve-Méry). La SRM est un excellent éthylotest.
vendredi 21 décembre 2007
dimanche 9 décembre 2007
Comment Poutine monopolise les ondes en Russie
Par Alain Guillemoles, journaliste au quotidien La Croix
Est-il possible de mesurer objectivement le contrôle exercé par le président russe sur les médias ? Une ONG spécialisée sur la défense de la liberté de la presse, à Moscou, a réalisé une étude édifiante. Un an avant la présidentielle, c'est-à-dire en mars 2006, le "Tsentr extremalnoï journalistiki" (centre pour le journalisme en conditions extrême) a commencé à comptabiliser le temps d'antenne des principales personnalités et des principales forces en présence. Et le résultat est sans appel.
En mars 2006, sur la première chaîne, la plus regardée, le gouvernement bénéficiait de 48 % du temps d'antenne consacré aux informations politiques, le président de 35 % et le parti présidentiel Russie unie de 7,10 %. Ainsi, 90 % du temps a été offert à Vladimir Poutine et à ceux qui le soutiennent.
En octobre dernier, la tendance s'était encore accentuée: sur cette même chaîne, le président a bénéficié de 41,5 % du temps d'antenne, le gouvernement de 35 %, Russie unie de 16,5 %, soit 93 % du temps d'antenne. En revanche, le parti Iabloko a eu 0,4 %, le Parti communiste 0,8 % … Poutine a eu quatre heures d'antenne en temps cumulé, tandis que le chef du parti d'opposition ayant le plus parlé, Vladimir Jirinovski (LDPR), a eu cinq minutes.
L'étude (www.memo98.cjes.ru/diagrams/2007/200710-national.pdf) s'est concentrée sur les 6 grandes chaînes nationales et a porté sur le contenu des journaux télévisés de la fin de journée, de 17 heures à minuit.
Le "Tsentr extremalnoï journalistiki", dirigé par Oleg Panfilov, est une ONG reconnue en Russie pour son travail de défense de la liberté de parole, dans un pays où elle est particulièrement malmenée. Cette enquête permet de mettre en chiffre une réalité, qui saute aux yeux dès lors que l'on passe quelques jours dans une Russie en période électorale.
Sur le petit écran, durant la semaine précèdait les législatives du 2 décembre, l'opposition semblait ne pas exister. Les débats prévus par le code électoral avaient lieu à 7h du matin ou après 23h30. De plus, le parti présidentiel, Russie Unie, avait refusé d'y participer. En revanche, le jour où Vladimir Poutine s'adresse à ses partisans lors d'un meeting électoral au stade Loujniki, le journal télévisé consacre 16 minutes en ouverture pour diffuser de larges extraits d'un discours qui durait en totalité 22 minutes.
Vladimir Poutine est à ce point présent de façon disproportionnée à la télévision qu'une blague circule: «Poutine s'adresse à son écran de télévision. Il lui demande: «Miroir, mon beau Miroir, est-ce que je suis toujours le plus beau?» Et l'écran de télévision lui répond: «Mais je me tue à te le répéter!».
Ainsi, les Russes se défendent à nouveau par l'humour. Comme ils le faisaient à l'époque soviétique. Cette habitude avait disparu. Elle revient. C'est un signe qui n'a rien de rassurant.
Aujourd'hui, la machine médiatique du Kremlin fonctionne comme un chasse-neige qui pousse vers les marges l'ensemble des autres formations. À regarder les journaux télévisés, on peut être rapidement persuadé que l'opposition n'existe pas, n'a pas d'idées, de militants, de chefs… Et de fait, comme ce traitement dure depuis, déjà, quelques années, la réalité finit par ressembler au reflet qu'en donne la télévision !
blog.la-croix.com:russie
Inscription à :
Articles (Atom)