jeudi 30 août 2007

L'expert économique est toujours joignable (2)

Par Nina Perez, journaliste dans un quotidien national

Au cœur de l’été comme n’importe quel dimanche de l’année, l’expert économique se doit d’être disponible pour la presse. Où qu'il soit, il trouvera dix minutes pour rappeler, avant l'heure de «bouclage», le journaliste qui lui a laissé un message sur sa boite e-mail ou son portable.
Car si le journaliste a besoin de l’expert pour lui apporter des éclaircissements sur un événement économique et ses répercussions possibles, la réciproque est évidemment vraie. Avoir (gratis !) son nom et celui de sa banque dans un article lui est précieux. L'ordre, la façon dont son analyse apparaît dans le corps de l'article, n'ont rien d'anodins. Et il ne le sait que trop bien.
Tacitement, les experts se jaugent à l’aune de ces citations parues dans la presse. Les banques qui les embauchent y trouvent a fortiori un intérêt en terme de «reconnaissance».
Certains experts ont même vu leur célébrité éclater en se montrant particulièrement disponibles avec les journalistes. Ils créent alors des blogs, des sites, voire leur propre société de conseil. La multiplicité des supports et l'exigence de rapidité (amplifiée avec le développement de la presse sur internet) offrent un boulevard de renommée à ceux qui savent comprendre et s'adapter à ces nouveaux impératifs médiatiques. On les lira ou entendra ainsi davantage que d’illustres confrères, peut-être plus « besogneux » et moins aguerris aux nouvelles techniques de communication.
Par ailleurs, les économistes sont également marqués politiquement. Le journaliste économique n'ignore par que ceux de l’Office français des conjonctures économiques ( OFCE) sont plutôt à gauche. A l'inverse de ceux qui travaillent dans les grandes banques, considérés comme davantage libéraux.
S’ils sont rarement d’accord, la quasi-unanimité des économistes critiquent cependant la politique économique de Nicolas Sarkozy. Ils s’inquiètent en particulier des conséquences du cadeau de 15 milliards d'euros (qui aurait pu renflouer le trou de la Sécu) fait aux Français qui en ont le moins besoin avec l’objectif affiché de créer un «choc de confiance», censé relancer la croissance. Mais on ne fait pas de l’économie avec de la méthode Coué. Et, contrairement à Keynes qui préconisait de creuser le déficit public quand l'économie se portait bien, Sarkozy vide le bas-de-laine français en période de «  croissance mollee ». Ce qui n’offre plus aucune souplesse en cas de crise, financière par exemple.

dimanche 26 août 2007

Quand on substitue l'expert au journaliste (1)

Par Philippe Madelin, écrivain d'investigation

Si vous visitez la rédaction d’une station de radio (d’information continue ou non), vous serez surpris de découvrir devant les postes de travail des journalistes des listes de personnes assorties de leurs numéros de téléphone portable. Un examen attentif de ces listes permet de constater qu’elles collationnent les noms de tous les spécialistes identifiés dans chaque domaine de l’actualité.
Plus qu’un simple fichier, cet outil permet aux jeunes journalistes dénués de contacts personnels de pouvoir interroger rapidement des « experts ». Le fond n’importe peu. L’essentiel est que le journaliste puisse appuyer son texte d’information d’éléments sonores qui apparaissent comme des illustrations brèves – dix à vingt secondes - dans des interventions dont la durée d'antenne n’excède pas la minute. Ce système permet à la station de radio de convaincre les auditeurs qu’ils sont des privilégiés puisque les « experts » acceptent de délivrer leurs connaissances au grand public.
Tout ça part d’une apparente volonté d’expliciter l’événement le mieux possible.La réalité est moins glorieuse, nous retrouvons le principe des listes. Chacune est constituée par ordre décroissant de réputation, de « bruit médiatique » en quelque sorte. Le journaliste contacte chaque « expert » l’un après l’autre, la première réponse positive interrompt le balayage : le sonore est enregistré, l’intervention mise en onde. L’exigence de rapidité passe souvent avant celle de la qualité, de la crédibilité, voire de l’indépendance (par rapport à des organismes publics ou privés) de l’interviewé.
Je suis bien placé pour savoir, étant moi-même tenu pour un expert dans mes domaines de prédilection, la police et la sécurité. Au gré des événements, attentats, incidents de police ou autre fait divers, sans raison cohérente, j’apparais sur telle ou telle radio, suivant les besoins des jeunes journalistes, selon ma place dans la liste.

jeudi 9 août 2007

Coulisses de la tournée africaine de Sarkozy


Par Abdoulaye Yade, journaliste français, ayant fait partie de la délégation présidentielle

« Sarkozy, c’est la mort du off », soupirait un journaliste au cours de la récente tournée africaine du Président (mais parle-t-on de « tournée » quand un spectacle n’a que trois « dates » ?). Comme durant la campagne, le nouveau locataire de l’Élysée est accessible et lance les petites phrases à tout va, mettant à bas le sacro-saint principe du « off the record » selon lequel les journalistes gardent pour eux certains propos de leurs interlocuteurs. En effet, cette fois comme lors de son récent voyage au Maghreb, Nicolas Sarkozy a rencontré la « presse accréditée » (celle qui suit le déplacement officiel) hors-micro et hors-caméra, mais sans que soit signifié aux rédacteurs le caractère « non-citable » des propos présidentiels. Ceux-ci se retrouvent donc dans la presse du lendemain ou du surlendemain, selon l’heure parfois tardive de la rencontre, avec généralement la précision de contexte qui s’impose : « au cours d’une rencontre informelle avec la presse», etc.
Ceux qui connurent les premiers voyages officiels de Jacques Chirac se souviennent de ces rencontres encore plus informelles au cours desquelles on pouvait discuter avec le président au bar de l’hôtel, en l’accompagnant dans sa dégustation de la sacro-sainte bière Corona. En apprenait-on plus pour autant ? C’est douteux. Car Nicolas Sarkozy parle, plaide, ment, cherche à convaincre. Le ton n’est pas vraiment celui d’une conférence de presse, les propos sont moins policés, le président lance quelques flèches empoisonnées qu’il garderait pour lui devant les caméras. Ainsi lorsqu’il ironise sur le fait qu’il « n’a pas le carnet d’adresse de Jean-François Probst » (ancien conseiller de Chirac) en Afrique, trait juste destiné à être rapporté dans le microcosme. Il n’hésite pas non plus à sermonner avec un agacement ostensible la gent journalistique qui a osé critiquer le discours hallucinant écrit par Henri Guaino sur l’« Homme africain » qui « jamais ne s’élancera vers l’avenir » et vit « dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance »
« Vos papiers me font penser à ce que vous écriviez sur moi pendant la campagne, grogne le président au pseudo-off de Libreville. Et j’ai fait 31% au premier tour. Ça devrait vous inciter à réfléchir sur vous-mêmes. » Il faut dire que Nicolas Sarkozy avait en face de lui, en gros, trois catégories de journalistes : des muets (généralement par ignorance des dossiers africains), quelques représentants de commerce venus vendre aux présidents visités des pages de pub dans leurs magazines complaisants, et une poignée de rubricards Afrique de la presse nationale relativement hargneux. Considéré comme leur « meneur », Vincent Hugeux, de l’Express, se verra d’ailleurs passer un savon par un conseiller élyséen, à la fin d’un voyage dont il a relaté les coulisses d’une plume acerbe.
On lui saura gré d’avoir listé dans l’édition papier de son magazine une partie des splendides lapsus du Président. Rien que pour cela – faire se gondoler ceux qui savent que Kinshasa n’est plus la capitale du « Zaïre » et encore moins celle du Congo-Brazzaville – il faut inciter le Président à pérenniser ces « off » qui n’en sont plus. Et dont l’un des intérêts est apparemment pour lui, ce n’est pas lui faire offense, de contempler les jolies consoeurs dépêchées par les rédactions parisiennes. Parfois très court vêtues, même à Tripoli. Ce n’est pas la moindre des conséquences de la chute de la maison Chirac que de constater le rajeunissement et la féminisation de la cohorte de journalistes appelée à couvrir un tel déplacement. Exit les vieilles gloires liftées de l’ORTF, place aux jeunes premières des chaînes d’info en continu, habituées à être reconnues par leur voisinage et qui vous regardent de haut quand vous leur demandez benoîtement où elles bossent. Elles ont pour interlocuteurs quelques jeunes loups élyséens à la mèche impeccable, dont la préoccupation est plus de savoir s’ils auront le temps de sortir en boîte en marge du « V.O. » que d’informer utilement la presse. Si ça n’est pas la « rupture », ça…